now i'll never have a chance (tess et benjamin)

⸻ Le silence. C'était la trame sonore de la dernière journée. Le silence pendant qu'il faisait ses valises pour il ne savait pas combien de temps. Est-ce qu'il emmenait des vêtements pour quelques jours? Quelques mois? Il était resté assis au pied de son lit un moment, toujours le silence. Le silence quand Tess a prit le relais des valises parce qu'il n'arrivait à rien. Elle avait posé sa main sur sa joue, glissant son pouce sur sa barbe de quelques jours. Ça l'avait appaisé un moment, ce silence. Le silence dans l'avion; dans ce jet privé normalement actif. Pas aujourd'hui. Tess avait probablement donné l'ordre à tous les employés de ne pas lui adresser la parole directement.


⸻ C'était lui qui conduisait. Il n'aurait probablement pas du, parce que sa fatigue était probablement plus dangeureuse qu'être saoul au stade ou il était, mais Tess avait su se taire. Le son était revenu à ses oreilles quand ils étaient passés par les grilles de fer forgé devant la villa typiquement anglaise qui se dressait devant eux. Il avait garé la voiture, sur le gravier, et après avoir coupé le contact, il s'était retourné vers Tess, profitant d'un dernier instant de ce silence, passant son bras derrière le siège pour mieux la voir. Elle était belle, ce soir. Ça n'arrivait pas souvent qu'il la voit complètement démaquillée, la brune; naturelle, avec sa frange qui tombait un peu devant ses yeux verts aussi fatigués que les siens. S'il avait eu la force, il lui aurait souri. Mais au lieu de ça, il soupire, doucement. Longuement.

- ... okay, qu'il murmure pour lui-même.

⸻ Il finit par sortir de la voiture et de se diriger vers l'arrière de la voiture pour en sortir leurs valises. Le reste de leurs choses allait suivre éventuellement; il savait que Tess s'en occuperait. Le silence, maintenant brisé par leurs souliers dans le gravier de l'entrée. Ce soir, ils n'étaient pas dans leurs beaux habits habituels. Armani et Alexander McQueen, c'était pas pour des journées comme aujourd'hui. Non. Et c'était inhabituel pour eux, de se voir sous cette lumière. Surtout pour Benjamin.

⸻ Ils arrivent à la porte, et il essaie tant bien que mal de débarrer la porte, Benjamin, mais il n'y arrive pas. Il a la main qui tremble. Comme si la réalité le rattrappait soudainement. Ou que l'adrénaline redescendait. Il donne un petit coup sec sur la serrure avec ses jointures, puis il s'arrête, ses doigts se serrant encore un peu plus sur le trousseau de clés.

- J'y arriverai pas, qu'il souffle. J'y arriverai pas, Tess.

⸻ À ce stade, il ne savait pas s'il parlait de la clé dans la porte, ou de la situation en son entièreté; il ne savait plus rien, Benjamin. Mais elle, elle saurait. Parce que Tess, elle sait toujours.

⸻ Le silence était rarement de mise, même si Tess n’était pas une adepte du bavardage inutile ; en l’occurrence, le silence se faisait de lui-même, par respect. Elle mentirait si elle disait qu’elle ne le trouvait pas malgré tout étouffant. Il alimentait son besoin de bouger. Et l’impression de ralenti qui émanait de Benjamin n’aidait en rien ; Tess se sentait impuissante.

Elle avait reçu l’appel de Crina. Ce n’était pas le premier, c’était néanmoins le dernier et la brune l’avait senti dans le discours, promettant avec habitude qu’elle prendrait soin du fils de la vieille femme. Mais Crina avait insisté sur cette promesse et Tess s’était montrée plus solennelle avant de réserver un billet supplémentaire pour Fair View. Le premier vol disponible, et pourtant ça n’avait pas suffit. Alors, par habitude, elle avait pris les choses en main. Après avoir observer Benjamin se dépêtrer dans sa valise, l’assistante l’avait délicatement écarté de la tâche et avait rapidement fait la valise, mécanique et efficace, pour ne pas changer. Et, délicate, elle était venue chercher son regard, son contact, les doigts sur la peau de sa joue. C’est comme s’il n’était pas là, pas avec elle, le regard éteint.

Alors le reste du voyage s’était poursuivi sur cette lancée. La belle avait sagement demandé à l’équipage du jet d’être respectueux, de ne déranger Ben que s’il s’y montrait ouvert. Et il était totalement déconnecté, tout le long. Elle l’avait laissé prendre le volant, veillant d’un oeil sur ce qu’il faisait. Sans doute ne l’avait-il même pas perçu, ce regard bienveillant qu’elle gardait sur lui. Il est en pilotage automatique, et elle est là pour rattraper les écarts au besoin. Elle sent la fêlure, mais elle sait qu’elle ne peut rien faire pour l’empêcher. Il a besoin de craquer, elle le sait.

Quand le bruit des graviers s’interrompt sous les roues de la voiture, elle tourne la tête vers lui. Elle ne connait pas Fair View, elle n’est venue qu’occasionnellement avec Benjamin, quand il venait voir sa mère, mais elle a toujours aimé le paysage de cette petite ville. Le regard que le brun pose sur elle est différent. Ils avaient un voyage en eux, fatigués, loin des habits soigneusement lissés ; les faux-semblants tombaient doucement au profit d’une mise à nue pourtant loin d’être littéral. Les lèvres de Tess s’étirent doucement en un sourire tendre, rassurant, tandis que sa main vient doucement effleurer le bras que Benjamin a passé derrière son siège. Contact léger mais présent pour lui rappeler qu’elle était là. Un soupire comme gain de courage, et il se remet en mouvement.

Elle l’aide à vider la voiture ; au rapport de force, il porte les valises, plus lourdes, tandis qu’elle le suit avec le reste. Et là, elle sent la brisure, brutale, quand il parle de nouveau. Elle l’observe, un instant, avant de déposer le sac qu’elle tenait d’une main, venant lui prendre doucement les clés pour déverrouiller la porte. Régler d’abord le problème mineur, avant de se tourner vers lui. Cette fois, elle a libéré ses deux mains, venant les placer autour de sa nuque, ses pouces longeant sa mâchoire :

– Regarde moi. Tu vas y arriver, on va y arriver, tous les deux.

Parce qu’ils étaient indestructibles ensemble. Son pouce gauche fait un trajet le long de son visage, ses yeux verts accrochent ses yeux bleus. Elle n’a aucun remède miracle au deuil, elle sait que seul le temps fera son oeuvre et qu’elle ne pourra rien faire. Et ça la rend dingue. Elle vient poser son front contre le sien un instant, quelques secondes, avant de lui rendre son espace et d’ouvrir la porte pour le laisser se glisser à l’intérieur, s’occupant de tout rentrer. Elle prenait les choses dans l’ordre, il n’y avait rien à faire de plus.

⸻Elle n'avait rien questionné, la brune. Elle avait simplement pris les clés des mains de Benjamin et avait entrepris de débarrer la porte elle même. Un geste simple, mais pour lequel il avait une gratitude indescriptible. Il l'observe du coin de l'oeil, alors qu'elle pose son sac et libère ses bras, et qu'elle se retourne vers lui. Elle lève les bras pour le remonter vers sa nuque. Lui, il fuis son regard. « Regarde moi. » Les mains de Tess sur son visage, ça avait toujours le don de l'apaiser; cette fois, c'état différent, beaucoup plus intime qu'à l'habitude. Pas intime au sens de sexulité, non. Intime au sens de personnel. Il avait fermé les yeux au contact de ses pouces qui reposaient contre sa machoire, juste un petit instant. Passer outre sa douleur. Son mode autopilote était enclanché depuis trop longtemps, et lentement, la journée, la réalité, ça le rattrappait. « Tu vas y arriver, on va y arriver, tous les deux. » Ses yeux océan reposent dans ceux de la brune; il pourrait s'y perdre, s'il s'écoutait. Le pouce de Tess glisse lentement contre sa mâchoire, et avant qu'il puisse parler, elle viens poser son front contre le sien. Un nouveau petit instant de paix, la chaleur de sa peau contrastant avec le frais de l'air autour d'eux. Ça lui prend ton son courage pour ne pas exploser, là, à ce moment là. Pour ne pas baisser sa garde et pleurer. Pour ne pas passer ses bras autour de Tess et se rattacher à elle comme une bouée de sauvetage. Non, ça il ferait tout ça quand il serait seul, dans sa chambre.

- Okay, qu'il murmure.

Elle se détache, Tess, puis ouvre la porte, et elle commence à entrer les valises. Il l'avait laissé faire, parce qu'il n'avait pas la force. Il savait qu'il aurait du l'aider, parce que c'était la bonne chose à faire, mais juste de lever les bras semblait être une tâche impossible. Alors il était simplement entré dans la maison. Ce manoir de type villa anglaise, à l'opposé complètement de son penthouse à New York, ou de sa villa sur le bord de l'eau à Los Angeles. Il avait acheté ce manoir quand sa mère avait voulu déménager à Fariview, même si Crina, elle, avait préféré Wisteria Lane. Il l'avait acheté parce qu'il voulait toujours avoir l'option d'aller la rejoindre, s'il le voulait. Et il n'aurait plus jamais cette chance.

Il ne ramasse même pas son sac avant de monter à l'étage, la tête ailleurs. il entends les pas de Tess derrière lui. Elle voulait probablement garder un oeil sur lui, histoire qu'il ne se balance pas par la fenêtre. Ou peut-être qu'elle voulait simplement faire comme lui, aller se mettre au lit. Il se retourne, et elle est là. Bien sur qu'elle est là, parce que Tess, elle est toujours là. Il s'approche d'elle, sans vraiment réfléchir. Ses bras viennent l'entourer, à la hauteur des épaules. Et il l'engouffre complètement dans ses bras, son nez venant se poser contre sa tête, dans ses cheveux. Il prend une grande inspiration, le brun. Les effluves chaudes et épicées de son parfum viennent à ses narines; un parfum qu'il lui avait lui même offert quelques années auparavant et qu'elle n'avait changé depuis. La vanille, le patchouli. Ça l'entourait, et il sentit ses épaules se relâcher un peu.

- Merci d'être là, qu'il souffle faiblement contre son oreille. J'sais pas ce que j'ferais sans toi, Tess.

Presque comme une confession nocturne, un secret. Puis il finit par se détacher, le brun. Ses bras reviennent le long de son corps, non sans avoir effleuré le bras de Tess du bout des doigts au passage. S'il s'était écouté, il lui aurait pris la main, il l'aurait entrainé vers le lit. Juste pour ne pas être seul. Rien de plus. Mais même s'il se sentait comme un enfant abandonné et seul au monde, il était un adulte, il devait se redresser et continuer d'avancer. Ses yeux se posent dans le vide derrière elle.

- Y va falloir qu'on commence à faire les arrangements demain, qu'il commence lassement, se remettant en mode boulot rapidement, parce que c'était sa meilleure carapace. Appeler le salon pour prendre rendez-vous. Et son infirmière, aussi. Le notaire... commence par le notaire, c'est le plus important.

Il marque une pause, et il souffle à nouveau. Ça allait être une longue semaine pour tout le monde, mais surtout pour lui et Tess.

⸻ Elle avait cette impression que si elle appuyait de trop sur sa peau, il s’effriterait dans ses doigts. De mémoire, Tess ne l’avait jamais vu aussi fragile, à autant s’appuyer sur elle. Elle avait l’habitude de porter les responsabilités mais habituellement, il était là. Elle était étonnamment seule pour gérer la situation. Il se glisse dans l’immense demeure, elle l’observe, silencieuse quand il monte à l’étage. Et elle est attirée, comme si elle ne pouvait le laisser s’éloigner de trop ; elle le talonne. Elle ne sait pas quoi dire, Tess, elle est impuissante face à sa détresse, face à son deuil. Et pourtant, elle rêverait de le prendre dans ses bras, de le serrer contre et lui promettre qu’il ira mieux à peine l’aura-t-elle lâché. Mais elle ne pouvait lui tenir un tel discours. Elle ne pouvait lui promettre ceci… Alors elle le talonne, les bagages en vrac au sol, la porte tout juste fermée.

Aussi elle ne s’y attend pas quand Benjamin fait demi tour brusquement et vient la prendre dans ses bras. Elle le laisse faire, elle sait qu’il en a besoin, alors qu’il la rapproche de lui, qu’elle sent son dans ses cheveux, son souffle sur sa peau. Elle s’accorde de fermer les yeux, relâcher un temps la pression sur ses épaules. Elle sent qu’il inspire, elle craint qu’il ne craque mais non. Elle n’a aucune idée du temps écoulé, quand il se détache, elle voit seulement qu’il est revenu en pilotage automatique. Elle sent ses doigts, elle sent sa faiblesse, elle a envie de le serrer contre elle mais n’en fais rien. Elle l’écoute parler, retenant ce qu’il lui dit, puis elle fait un léger pas, petit, vers lui, et ses mains viennent doucement toucher ses avant-bras :

– Ben, je vais m’en charger. Il… Repose toi. Vas te reposer, et je vais m’occuper de tout demain matin, lui affirment-elle, observant son regard fixant derrière elle.

Elle-même est fatiguée et peinera à faire correctement sa tâche. Elle a besoin de dormir un peu mais elle sait d’avance qu’elle ne pourra pas dormir si lui n’est pas endormi, serein autant que possible. Mais en l’instant, elle ne sait pas quoi lui proposer, même si elle ne montre pas que son attitude la déstabilise et réveille en elle un instinct protecteur.

– Tu veux que je t’apporte… je sais pas, quelque chose à boire ? À manger ?

Elle se plonge dans le travail, encore, comme d’habitude. C’est sa fuite à elle, qu’elle s’accorde, un peu égoïstement ; mais sa fuite aidera Benjamin, elle l’espère du moins.